Sculpture : Une interview avec Mattia Bosco

X,Y,Z par Mattia Bosco, sculpture en marbre, 111.5 cm × 179 cm × 47 cm

A travers cette interview réalisée en Mai 2021, le sculpteur italien Mattia Bosco développe son parcours, son processus de création ainsi que sa vision de l’art et de ses récentes évolutions. Ce faisant, il nous permet de mieux se familiariser avec son travail, mais également d’en saisir la profonde réflexion dont il est à l’origine.

Votre parcours en tant que membre d’une famille d’artistes et en tant que  philosophe semble avoir façonné votre développement en tant qu’artiste. Pourriez-vous expliquer l’influence de ces différents vécus sur votre travail ?

En effet, être né dans une famille de peintres m’a formé. Mais il s’agit d’une formation qui a commencé il y a très longtemps, avec le lait maternel, les odeurs, la disposition des objets dans la maison… Personne dans ma famille n’a jamais vanté le fait d’être artiste, on ne parlait jamais des artistes comme des êtres particuliers ou meilleurs.

Ce n’était pas nécessaire de le dire, mais il y avait quand même une certaine fierté vis-à-vis de cette liberté, qui évidemment n’avait pas de prix. Le mythe de l’artiste n’existait pas, au contraire c’était vu comme un défaut, mais l’art, l’œuvre proprement dite, était sacrée. Je trouve qu’il y a une certaine sagesse dans le fait de ne pas pousser un jeune, encore en plein développement, vers un chemin plutôt qu’un autre, encore plus vers l’art. On choisit son chemin lorsqu’on réalise l’avoir déjà emprunté. C’est à ce moment-là qu’on regarde en arrière et, en retraçant des situations et des événements apparemment déconnectés, on voit qu’ils dessinent une constellation.

Pour le dire autrement, on réalise notre implication dans une voie lorsqu’on y a déjà pris part, et c’est pour cette raison que cette voie-vers-laquelle-tendre ne sera jamais une définition de soi, mais plutôt un processus qui conduit vers soi, un devenir permanent.

Disons que pendant toute ma jeunesse, jusqu’à la fac, je n’aurais pensé qu’un jour je serai sculpteur. Je faisais des études de philosophie et c’est en faisant autre chose, je veux dire en approfondissant mes études, que je me suis retrouvé sur une diagonale qui m’a dirigé vers l’art. Tout ce que j’avais supprimé de mes souvenirs est réapparu, tout ce que j’avais appris par osmose en regardant ma mère travailler s’est manifesté comme un savoir-faire que je n’avais appris dans aucune école. Mes mains savaient poser les bonnes questions au matériau que je travaillais et celui-ci répondait. C’est comme ça que je me suis retrouvé à sortir un réservoir de formes qui était caché en moi, comme je l’ai dit au début, avec le lait.

Kora I par Mattia Bosco, Marbre palissandre, 142 cm × 63 cm × 34 cm

Quels matériaux vous intéressent le plus? Quelles en sont les limites et les défis ?

Il y a deux matériaux qui m’attirent beaucoup, pour des raisons opposées : la pierre et l’argile. L’argile a une nature très similaire à l’eau : elle laisse entrer, elle cède son espace. Au contraire, la pierre ne laisse pas pénétrer, elle rejette. La facilité avec laquelle l’argile se laisse manipuler dégénère facilement en une éruption plastique, ce geste de repasser sans cesse sur les mêmes traces finit par s’imprimer et se confondre. Et pour cause ; l’argile n’est facile qu’en apparence, justement peut-être puisqu’elle induit facilement en erreur. L’argile prend la forme mais elle en est dénuée, et c’est ça sa limite, mais c’est quand même une limite au sein de laquelle les possibilités sont infinies. En revanche, la pierre pour moi est tellement pleine de forme que je n’arrive pas à la considérer comme un matériau. Sa dureté oblige à une démarche lente et attentive, donc il est finalement plus difficile de se tromper.

Dans mon travail, l’erreur n’est pas le fait de ne pas aboutir à une idée mais c’est plutôt de ne pas avoir su s’adapter aux réponses de la pierre, d’avoir étouffé un potentiel naissant du fait d’un trop grand décalage entre ses prédispositions naturelles et mes interventions sur celle-ci. Pour moi, chaque pierre a sa nature, et la considérer comme un matériau c’est comme voir les animaux comme de la viande.

Ce sont des pierres qui ont presque l’âge de notre planète : l’idée de travailler sur un basalte de 4,5 milliards d’années c’est quelque chose de vertigineux.

Votre pratique sculpturale est principalement décrite comme abstraite, bien que vous travailliez avec des formes et des matériaux faciles à trouver dans la nature. Cette tension entre les pensées non articulées voire surréalistes et les manifestations concrètes est-elle un point de départ pour l’exploration de la forme ?

Comme je viens de le dire, les pierres sont des morceaux du monde. Je ne fais que les prélever. Et ce geste, ce choix de les prélever d’un lieu implique une action d’extraction d’un environnement. Pour moi cet acte est une abstraction. Au moment de la séparation, cette pierre me devient comme une figure qui se détache d’un fond. Dans cette pierre il n’y a rien d’informe, elle n’a pas besoin de prendre une forme humaine pour que je reconnaisse sa valeur. Il suffit de la mettre en position verticale pour qu’elle s’humanise. A ce moment-là, il ne reste qu’un seul passage fondamental : lui donner la parole, la faire chanter, pour que tout le monde puisse l’écouter. Et ça c’est plus qu’un acte d’abstraction, c’est un acte de traduction.

C’est ça que j’essaye de faire, en soulignant ses lignes, les changements de plan, juste au dessous de la surface, comme s’il suffisait d’éplucher la pierre, retirer le voile qui nous empêchait de voir. Sur ces quelques traits découverts, je mets une feuille d’or – mais pas systématiquement – comme si c’était un point de lumière, pour les montrer encore plus, pour les accentuer. J’invite les gens à la regarder en retirant les superstructures qui empêchent de la voir. Pour moi, l’or est la lumière à l’état pur.

SW3 par Mattia Bosco, Marbre Palissandre et feuille d’or, 45 cm × 39 cm × 22 cm

Votre approche semble être plutôt conceptuelle. Pourriez-vous partager vos réflexions sur votre processus ?

Beaucoup d’artistes conceptuels peuvent faire exécuter leur travail par des artisans ou des « fournisseurs », comme on dit aujourd’hui. Moi, je ne pourrais jamais faire réaliser mes sculptures à quelqu’un d’autre :  je ne saurais pas quoi lui dire, ou je lui donnerais des informations trop vagues. Mon travail se base sur la rencontre, sur le corps-à-corps entre une pierre et moi, deux morceaux du monde qui s’hybrident, qui se contaminent. Il y a toujours beaucoup de confusion quand on parle de création et de travail d’artiste. Heureusement, il y a un écart entre l’idée et l’œuvre qui rend l’œuvre plus riche que l’idée.L’idée qui veut être un déclencheur puissant doit accepter de n’être qu’une étincelle qui se fait dévorer par le feu qu’elle même a allumé.

Vous intéressez-vous à la contemporanéité et est-elle pertinente pour votre travail ?

Il ne suffit pas de vivre en 2021 pour être contemporain. Il faut que le temps s’écoule pendant une éternité pour être aperçu, et cet écoulement doit être graduel. En étant littéralement dans un temps donné, nous sommes temporaires, mais pas contemporains. Je pense qu’on ne pourrait même pas faire de l’art si on n’avait pas un pied dans le temps dans lequel on vit, et un pied en dehors. Une partie plus ou moins évidente du travail de l’artiste peut être tracée à travers son temps, mais une partie reste intraduisible, irréductible, inépuisable. Nous contractons une dette non quantifiable, un compte ouvert entre la vie et soi-même. Si vous voulez, on peut regarder mon travail dans cette optique, comme une métaphore d’une façon d’habiter le monde différemment.

SW12 de Mattia Bosco, Marbre noir Palissandre, 56.5 cm × 42 cm × 20 cm

Comment percevez-vous les nouveaux modes de présentation et de consommation de l’art à l’ère du numérique? Cela affecte-t-il une éventuelle interaction avec votre travail ?

Je pense que toutes les modalités de présentation et jouissance de l’art d’une façon exclusivement digitale – comme substitut du mode « réel » – manquent de quelque chose. Chaque médium, chaque technique, ouvre à de nouvelles possibilités, mais en supprime d’autres. J’aimerais beaucoup faire une sculpture en partie réelle et en partie holographique, dans laquelle l’hologramme montrerait l’image de la pierre comme elle était avant mon intervention. La technologie ne me le permet pas encore.

Quels sont vos plans d’avenir ?

Travailler le plus possible et quand ça sera possible voyager à la recherche de pierres extraordinaires à travers le monde. Première étape : l’Iran. Faire des plans ne colle pas avec la période dans laquelle nous vivons en ce moment, mais j’ai quand même deux expositions prévues en 2022.

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